LE CARTULAIRE
INTRODUCTION par le Chanoine Pottier
La publication du Cartulaire ou Livre juratoire de Beaumont-sur-Gimone (Aujourd'hui Beaumont-de-Lomagne, chef-lieu de canton du Tarn-et-Garonne, arrondissement de Castelsarrasin.) est une oeuvre collective.
M. Gustave Babinet de Rencogne, le regretté et savant archiviste de la Charente, qui fut pendant dix ans président de la Société archéologique de ce département, en eut la première pensée ; c'est à lui aussi qu'appartient le principal mérite. Il avait transcrit avec un soin extrême le manuscrit qui nous occupe, mais la mort, venue trop tôt, ne lui a point permis de le faire connaître. Sa veuve et son fils, héritiers de ses travaux et de son intelligence des choses du passé, ont bien voulu nous remettre la copie inédite et offrir de pourvoir, en majeure partie, aux frais d'impression, nous leur devons un témoignage de reconnaissance (Pierre Gustave Babinet de Rencogne, né au château de Montegon (1831-1877), élève de l’Ecole normale supérieure, littérateur, historien, archéologue. La bibliographie de ses oeuvres compte 70 publications. Il avait été membre correspondant de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne. Madame Sidonie de Rencogne, née de Dubor, appartient à Beaumont par sa famille paternelle. Son père, homme d'esprit et de savoir, a laissé dans les lettres un nom apprécié, qui doit également rester en honneur dans son pays natal. Sa mémoire a droit ici à un souvenir et à un hommage. Marcel de Dubor (1803-1879) a publié en 1850, dans le Recueil de l'Académie des Sciences de Toulouse, sous ce titre : Institutions féodales. Chartes inédites du XIIIe siècle. Fondation de Beaumont-sur-Gimone, la charte de cette ville, et donné quelques extraits du Cartulaire avec commentaires. Le même texte a été reproduit, par M. Jules Frayssinet, dans son livre Beaumont et Tourreil.)
La ville de Beaumont ne se contente pas de conserver avec respect son vieux Livre Juratoire, le Conseil municipal en apprécie la juste valeur. Par le vote d'une allocation il a contribué à sa publication, après avoir confié le précieux recueil à la Société archéologique de Tarn-et-Garonne (M. Delibes étant maire. Assemblée du conseil municipal du 6 novembre 1881, ont pris part au vote : MM. G. Rivière et Malecaze, adjoints; Abadie, Bousquet, Carrié, Delpont, Méric, Moisset, Patarac, Régis, Roucolle, Roussel, Taupiac et Vivent)
En possession de ces documents, notre Compagnie devait désigner l'un de ses membres pour terminer l'oeuvre de M. de Rencogne : elle n'a pu hésiter dans son choix. Son Secrétaire général, M. Francois Moulenq a bien voulu accepter ce laborieux mandat.
Nous lui devons:
1° Une notice historique sur la ville de Beaumont;
2° La révision et la collation des textes avec quelques restitutions;
3° Des notes pour faciliter la traduction des pièces originales et fournir des renseignements sur les localités et les personnages qui y sont nommés.
4° Une analyse sommaire, précédant chacun des titres et en indiquant le sens général.
5° Enfin un Glossaire pour l'intelligence des mots latins ou romans difficiles, ne se trouvant pas, pour la plupart, dans les Glossaires usités.
En plusieurs occasions M. Moulenq a pris l'avis de la Société et associé à son travail MM. Taupiac, Edouard Forestié, Dumas de Rauly; mais ces noms, malgré leur notoriété, doivent, en cette circonstance, s'effacer devant celui du savant qui depuis 40 ans donne la mesure d'une infatigable activité servie par une rare érudition. M. Rigot, se faisant également notre collaborateur, a bien voulu reconstituer le plan de Beaumont au XVIe siècle et l'accompagner d'une Notice topographique.
MM. E. Rébouis et Ducom ont copié avec soin le texte latin des coutumes conservées dans le fond Doat à la bibliothèque Nationale.
L'entreprise méritait de tels efforts; il nous sera facile de le démontrer.
Longtemps négligée par nos historiens, l'étude des Bastides a eu, pendant ces dernières années, le privilège d'occuper les chercheurs. M. Félix de Verneilh, dans les Annales de Didron, Viollet-le-Duc, dans son Dictionnaire, ont fait connaître les dispositions de ces villes neuves, pénétrant la pensée des ingénieurs, qui en tracèrent le plan. Des économistes, en quête de régénération sociale, étudient leurs chartes et interrogent leur droit coutumier. Les Congrès et les Sociétés savantes ont inscrit dans leurs programmes la question de leur origine et de leur organisation; et, en 1872, M. Curie-Seimbre donnait à la Société archéologique du Midi un important mémoire sur ces Villes fondées dans le Sud-ouest de la France aux XIIIe et XIVe siècle. Depuis lors, M. Anthyme Saint-Paul a fourni une liste, forcément incomplète, de 225 Bastides, avec des notes excellentes, dans l'Annuaire de l'Archéologue français (I879).
MM. Boutaric, Cabié, A. du Bourg, Rébouis et Galabert, ont fourni de précieux documents sur les bastides, en commentant ou publiant leurs coutumes.
Il manquait, ce semble, de démontrer, non-seulement le point de départ d'une bastide, la charte de fondation, le contrat de paréage, le fonctionnement administratif et judiciaire, de faire connaître ses privilèges, mais encore de suivre le développement de sa vie communale et de donner les règlements des corps de métiers, les ordonnances relatives aux transactions commerciales. En publiant le Cartulaire d'une petite ville de la Gascogne, fondée au XIIIe siècle, nous croyons combler en partie cette lacune.
N'est-ce point. d'ailleurs travailler utilement à la véritable histoire du pays que de rechercher, après les actes du souverain, ceux de ses sujets? Si les uns, plus illustres, ont édicté des lois et, par leurs conquêtes, reculé les frontières de la nation, les autres, dans une plus humble sphère, ont contribué, par une vie laborieuse, à la prospérité commune. La patrie doit de la gratitude à chacun d'eux.
Alors que l'éveil de la vie municipale se faisait surtout sentir dans le Nord de la France au sein des cités populeuses, dans le Midi - rempli encore des traditions des municipes romaines et d'ailleurs si souvent la proie des guerres, - un sentiment analogue portait les habitants des campagnes ravagées et appauvries à chercher un refuge derrière des murailles.
Pour les populations rurales c'était acquérir la liberté des franchises, en attendant le droit de bourgeoisie, et trouver dans des métiers utiles une amélioration à leur sort. Les corps d'état s'implantèrent, l'effort industriel fut localisé, et le recours aux corporations nomades diminué d'autant. Les transactions rendues plus faciles apportèrent un accroissement dans la consommation et l'agriculture devint non moins florissante.
Parfois des fils de seigneurs, dépourvus de fiefs, se joignirent à ces anciens colons. Ces derniers, habitués aux travaux des champs, recevaient des terres cultes ou incultes partagées entre chaque famille; celles-ci avait l'obligation, rendue facile et profitable, de défricher leur part du sol et de planter leurs jardins. A Beaumont, par exemple, à mille divisions de terrain pour les maisons correspondaient mille arpents pour les vignes et mille emplacements pour les jardins. Le beau vignoble, qui remonte de la ville vers Argombat, offre encore, en grande partie, son ancien morcellement. A Grenade il en fut de même. Un terrain communal, désigné sous le nom de Padouenc, était destiné au pâturage. (Le Padouenc était affermé à raison de 12 livres l'arpent en I714. D'après une délibération de I789 comme : « rien au monde de plus naturel que de vouloir concerver son individu » on fait venir un médecin expert, Me de Galibert, docteur de la faculté de Montpelier, habitant de Castelsarrasin, dispensé, durant sa vie, de tailles et impositions, de logement de gens de guerre; et, pour entretenir son cheval il lui sera donné l'herbe de deux arpents du Padouenc. Les médecins n'étant pas immortels en 1716, Me de Galibert et, après lui, Me Le Blanc, aussi docteur, et d'autres étant morts, le sieur Sabalos représente au Conseil que : « depuis un temps immémorial, la ville à l'avantage d'être servie par 3 ou 4 médecins de distinction, les ayant tous perdu. les plus près étant à 4 lieues, on n'a pu les appeler depuis 2 mois. On prie le sieur de Fauban, du lieu de Barbaste, de se rendre moyennant la somme de 300 livres par an; de plus, il sera payé de ses soins en la manière accoustumée » (délibération du 23 août 1716). Beaumont possédait, depuis 1331, d'autres prés qui lui provenaient de la directe des seigneurs de Saint-Jean de Cauquesac. Grenade avait reçu 35 arpents de Padouenc à sa fondation.)
A tout cela se joignait le droit de posséder par l'élection des Consuls, un régime municipal représentatif, berceau de la vie des communautés, participation incontestable à l'oeuvre royale de l'unité nationale.
Cette révolution pacifique est chose curieuse à étudier. Sage à cause de ses lenteurs, elle répondait à un besoin d'organisation, souhaité en bas par le peuple, désiré en haut par le pouvoir souverain. Celui-ci donnait pour recevoir, et de ce mutuel échange résultait le bien de tous.
C'est ainsi que les habitants du village de Gardemont, en Quercy, descendirent de leur coteau pour s'établir. dans la vallée de l'Aveyron. Sollicitant. avec instance du roi Philippe-le-Bel une fondation de bastide, ils offrirent d'acheter, de leurs deniers, le territoire sur lequel s'éleva, en 1310, Réalville.
Telle paraît être la raison d'être des bastides.
A vrai dire, le point de départ de ces villes neuves est bien antérieur au XIIIe siècle. On en vit surgir des ruines mêmes amoncelées par les barbares; et de l'époque mérovingienne au XIIe siècle, sans vouloir remonter aux Romains (Dans le plan de Turin, fondé par Auguste, on retrouve encore toutes les dispositions de nos bastides. L'Orient offre aussi des plans analogues.), entre la naissance de Saint Jean de. Maurienne (710) et celle de Montauban (1144), plusieurs peuvent prendre rang.
Montauban, création d'Alfonse Jourdain, comte de Toulouse, offre déjà, à peu près, tous les caractères de la bastide, et dans le siècle suivant il y eut peu a faire pour en parachever le type caractéristique.
Vers le milieu du XIIIe siècle, après son mariage avec la comtesse Jeanne de Toulouse, Alfonse de Poitiers, frère de saint Louis, devint dans notre région le principal promoteur de ce mouvement fécond en résultats (Alfonse en a compris l'importance pour l'unité du royaume.); son exemple fut suivi par le roi de France et ses héritiers, ainsi que par Edouard d'Angleterre. (Valence d'Agen est une bastide anglaise.) Après les princes, ou avec eux, plusieurs seigneurs, possesseurs de grands fiefs, poursuivirent le même but.
Il s'établit entre eux et les abbés des monastères une généreuse émulation. Les bastides de Beaumont, Grenade, Fleurance, Valence-du-Gers, Mirande, Gimont, Villeneuve-de-Berg, Beaumarchés, bien d'autres encore en sont la preuve.
Le Cartulaire de Beaumont donne la mesure de l'intérêt que les Seigneurs voisins apportèrent à la nouvelle bastides. De son plein gré Gaston de Lomagne dispense les habitants de tout leude et péage sur ses terres (Chapitre VII Page 35), Odon de Terride, fondateur de Cologne (1286) (Chapitre VIII Page 37), Ysarn Jourdain, damoiseau (Chapitre IX page 40), consentent à des arrangements non moins favorables (Odon de Terride était co-seigneur du château de Saint-Jean-de-Gimois, seigneur d'Escazeaux; Yzarn Jourdain, co-seigneur du même château de Saint-Jean et de Maubec.).
Certains Seigneurs féodaux se plaignirent, il est vrai, de ce que le courant portait en dehors d'eux, et ils ne furent pas les seuls. Les grands centres, jaloux sans doute, se joignirent à eux. A Toulouse les réclamations se firent par la voix des Consuls, de telle sorte qu'en 1344 l'autorité royale s'engagea à ne plus faire de semblables fondations. Elle ne devait revenir sur cette décision que sous Francois 1er (Vitry-le-Francois fondé en I545).
Mais l'impulsion était donnée et, pour combattre ou entraver l'heureux effet des concessions nouvelles, plus d'un possesseur de fief dut accorder à ses vassaux, des privilèges ou des libertés non moins étendus. que ceux offerts dans les bastides.
De là, confusion dans la classification de ces dernières, d'anciens villages leur étant parfois assimilés. Nous citerons dans le Tarn-et-Garonne Nègrepelisse, Villebrumier, Mirabel, Albias, etc.
Aucune hésitation n'est possible au. sujet de Beaumont-de-Lomagne : nulle, parmi les 20 ou 22 bastides que possède notre département, n'offre mieux les caractères particuliers de ces petites villes. On retrouve la fondation d'un seul jet, sur un plan uniforme, l'enceinte murée, l'acte de paréage, l'intervention des officiers de la Couronne dans les actes de fondation le droit -de sceau confié aux Consuls, la place. sur laquelle pourront se tenir les délibérations « Hoc fuit factum apud Bellummontem in platea, » ... « prope plateam. »
Le côté historique est exposé dans la notice consacrée à Beaumont, par M. F. Moulenq, au commencement de ce volume; la constitution juridique et sociale se développe dans les feuillets du Cartulaire: traiter ici ces deux questions serait une répétition.
Il convient, du moins, d'examiner le nom, les armes, le plan et les constructions, avant d'en arriver au Livre juratoire lui-même.